Jusqu’à présent, l’absence de consensus scientifique confirmant l’imputabilité de l’apparition de la sclérose en plaques à la vaccination contre l’hépatite B, a conduit à des hésitations jurisprudentielles défavorables à certaines victimes.
En effet, en matière de produits défectueux (en l’espèce, le vaccin contre le VHB), l’article 4 de la Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, impose à la victime de « prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ».
Ce régime de responsabilité est particulièrement défavorable à la victime qui doit donc rapporter non seulement la preuve de la nocivité du produit, mais également, la preuve du lien de causalité entre la pathologie et le défaut du produit.
Concernant les victimes d’affections démyélinisantes du système nerveux, de sclérose latérale amyotrophique, d’affections auto-immunes ou encore, d’affections hématologiques, apparues après la vaccination contre le virus de l’Hépatite B, cette preuve était particulièrement difficile à rapporter dans la mesure où l’AFSSAPS a rendu en février 2012, un bilan de pharmacologie des vaccins contre l’Hépatite B concluant à l’absence de nocivité du produit.
Face à la multiplication des contentieux, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence intervenu en 2008, jugeant que la preuve du lien de causalité peut résulter « de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes » (Cass. 1re civ., 22 mai 2008, nos 06-14.952, 05-20.317, 06-10.967, 06-18.848 et 05-10.593 : Bull. civ. 2008, I, nos 147, 148 et 149 ; Resp. civ. et assur. 2008, étude 8 par Ch. Radé ; JCP G 2008, II, 10131, note L. Grynbaum ; RTD civ. 2008, p. 492, note P. Jourdain ; D. 2008, p. 1544, obs. I. Gallmeister, et p. 2897, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 9 oct. 2008, n° 283, p. 49, note S. Hocquet-Berg ; RDSS 2008, p. 578, obs. J. Peigné ; RTD com. 2009, p. 200, obs. B. Bouloc).
Néanmoins, pour certains auteurs la position de la Cour de cassation n’était pas suffisante pour assurer une égalité de traitement entre les victimes, puisque les Juges du fond disposaient d’un large pouvoir d’appréciation.
Pour preuve, la Cour d’appel de Versailles a, dans un arrêt rendu le 10 février 2011, rejeté l’action en responsabilité dirigée contre le laboratoire au motif, qu’il n’existait aucun consensus scientifique en la matière et que les indices réunis en l’espèce, n’étaient pas suffisants pour caractériser un lien de causalité direct et certain, entre la vaccination et l’apparition de la maladie.
Dans cette affaire, la victime rapportait pourtant la preuve d’un certain nombre d’indices graves et concordants permettant de conclure à la responsabilité du producteur du vaccin. En effet, la victime a été vaccinée en décembre 1998 et a manifesté les premiers symptômes de la maladie en novembre 2000. Elle était par ailleurs, en très bonne santé et ne présentait aucun antécédant familial ou personnel permettant de remettre en cause la responsabilité du producteur.
En 2015, les proches de la personne vaccinée, qui est décédée en cours d’instance, ont formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.
Néanmoins, la Cour de cassation ne pouvait alléger d’avantage la charge de la preuve qui incombe à la victime, sans prendre le risque de rendre une décision contra legem (décision contraire à l’article 4 de la Directive précitée).
Aussi, plutôt que de rejeter le pourvoi [issue certaine si la Cour avait appliqué la Directive], la Cour de cassation a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne de cette difficulté.
La Cour a ainsi demandé à la CJUE, si malgré l’absence de consensus scientifique et compte tenu du fait que, selon la Directive, il appartient à la victime de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité, le Juge peut se baser sur des indices graves, précis et concordants pour établir le défaut d’un vaccin et le lien de causalité entre le vaccin et la maladie.
Dans son arrêt rendu le 21 juin 2017, la CJUE a répondu par l’affirmative, en considérant que :
« 1) L’article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à un régime probatoire national tel que celui en cause au principal en vertu duquel, lorsque le juge du fond est saisi d’une action visant à mettre en cause la responsabilité du producteur d’un vaccin du fait d’un défaut allégué de ce dernier, il peut considérer, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation dont il se trouve investi à cet égard, que, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie. Les juridictions nationales doivent toutefois veiller à ce que l’application concrète qu’elles font dudit régime probatoire n’aboutisse ni à méconnaître la charge de la preuve instituée par ledit article 4 ni à porter atteinte à l’effectivité du régime de responsabilité institué par cette directive.
2) L’article 4 de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime probatoire reposant sur des présomptions selon lequel, lorsque la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis. »
En d’autres termes, même en l’absence de consensus scientifique quant à la nocivité d’un vaccin, les Juges peuvent retenir la responsabilité du producteur sur le fondement de l’article 4 de la Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, s’il existe des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin ayant causé un dommage.
En l’espèce, la proximité temporelle entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie, l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux de la personne vaccinée ainsi que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations, peuvent donc constituer des indices suffisants pour établir la responsabilité du fabricant.
La décision de la CJUE est donc de bon augure pour les victimes de ce vaccin, puisqu’elle va avoir le mérite d’unifier les décisions des Juges du fond en la matière.
Majda BENKIRANE – Avocat
Références de la décision commentée : CJUE sur renvoi préjudiciel, Affaire C-621/15 du 21 juin 2017, W c./ SANOFI PASTEUR MSD SNC, CPAM des Hauts de Seine & CARPIMKO